Le Parc humain by Petit

Le Parc humain by Petit

Auteur:Petit
Format: epub
Éditeur: Fayard


Il y eut deux autres rendez-vous. Au troisième, il ne vint pas. Je n’avais pas repéré les hommes qui m’avaient pris en filature et qui m’embarquèrent dans une bagnole sous la menace d’un flingue. Ils ne paraissaient ni allemands ni américains. Étant donné la défaillance inattendue du banquier, j’en déduisis que c’étaient probablement ses agents.

David et sa bande furent les derniers à entrer dans la danse.

Ils m’emmenèrent dans un atelier de réparation désert sous l’arche d’une voie du chemin de fer, où ils me firent subir une séance humiliante pour m’arracher renseignements et aveux. Ils n’arrivaient pas à déterminer si j’étais un agent des nazis, auquel cas ils voulaient me tuer, ou des Américains, auquel cas ils voulaient me retourner et me contrôler. Ou des deux.

La torture était plus symbolique que réelle, en partie du fait qu’ils se sentaient frustrés de mener une guerre sans contact avec l’ennemi. Ils n’étaient pas des experts comme, j’en suis sûr, Jaretski l’aurait été. Ce que j’avais toujours redouté devenait plus supportable parce que j’étais certain d’être utile à leurs plans. Ils ne me tueraient pas.

Je leur dis ce que je savais, ce qui à mon avis n’allait pas loin, plus parce que je me sentais de plus en plus seul que pour une autre raison. C’était une leçon salutaire de découvrir que toute illusion de loyauté que j’aurais pu avoir n’avait pas de sens. S’il y avait quelque chose d’humiliant là-dedans, c’était davantage dû à la conscience complice de nos petits drames qui comptaient si peu face à tant de morts et de souffrances. Nous jouions des jeux affectés, loin dans les marges où les alliances interdites se forgeaient. Nous étions déjà marqués par les compromis de la survie.

Les cheveux noirs, David portait des lunettes et avait un front haut qui commençait à se dégarnir. Il était sec et intense. David, faisant écho à Dulles, me dit : « Le renseignement est sans prix ou très dangereux, alors fais-en bon usage. » Il me rappela que je travaillais pour la Croix-Rouge aussi bien que pour Mr Dulles, et qu’il était temps qu’on fasse tous deux quelque chose pour aider les juifs.



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